« Traduttore, Tradittore ! » s’exclamait Jean-René Ladmiral (1) en introduction (presque un salut) de sa leçon inaugurale de traductologie à l’Université de Nanterre, en 1995.

Ça bouscule un peu, d’être d’emblée confrontée à l’impossibilité fondamentale du métier, avant même d’en apprendre les rouages. Car le vieil adage est vrai. Qui traduit, trahit. Les équivalences parfaites sont rares. Notre travail (et notre plaisir) consiste à trahir le moins possible – ne parle-t-on pas de traduction « fidèle » ? Dire que l’obstacle ne génère aucune frustration serait mentir. Je m’agace, je me lève, je marche, je fais papillonner mes doigts en l’air pour saisir le bon mot au vol. Le sens est là, clair, mais ne trouve pas sa place dans ma
langue française. Je dois lui en faire une.

À tout problème il existe une solution. Nos compétences techniques, les « trucs » du traducteur (chassé-croisé, périphrase, emprunt, néologisme… ), doivent triompher de tous les obstacles, même de la limite théorique de notre art – l’intraduisibilité. Et puis, le traducteur se régale parfois de cette poésie du décalage où s’expriment les différences culturelles, en termes
d’appréhension du monde et des autres, de valeurs et d’identité.

(1) M. Ladmiral a enseigné la philosophie allemande, l’allemand philosophique et la traductologie à l’Université de Paris X, où il dirige
le Centre d’études et de recherches en traduction, le CERT, pendant plus de 40 ans. Il a traduit Habermas, Kant et Nietzsche, mais
consacré la majeure partie de sa carrière de chercheur à la traduction et aux liens entre linguistique et philosophie.

À lire : Traduire : théorèmes pour la traduction (Paris, Gallimard, 1994, réédité en 2003 en collection Tel, n°246) ; Sourcier ou cibliste. Les profondeurs de la traduction (Paris, Les Belles Lettres, coll. « Traductologiques », 2014, 2e édition revue en 2016.